Cher 2016,
Parlons
peu, parlons bien. La religion. Ce mot qui est progressivement devenu un
gros mot.
Je
ne me suis jamais préoccupée de la religion, de ma religion, de mon approche à
la religion. Paradoxalement, je ne me suis jamais sentie aussi musulmane qu’en
arrivant en France. Dans mon pays, la religion, c’est quelque chose qu’on vit –
ou non – à des degrés différents, mais dont on ne parle pas forcément. C’est
personnel. Dans mon milieu, dans ma famille, le prosélytisme est très peu
répandu. Chacun s’exprime comme il le ressent, partage ce qui l’intéresse, ses
pensées, croyances, doutes, visions... mais personne ne juge l’autre, ne le
critique ou ne remet en question ses choix – ou son absence de choix –
religieux. En France, la religion est problématique. Elle est au cœur de toutes
les conversations, de toutes les crispations. En devenant française, je me suis
retrouvée à devenir une femme définie par son origine et sa religion.
Comme
la plupart des enfants arabes, j’ai grandi avec le conflit israélo-palestinien
en toile de fond. Du plus loin que je me souvienne, les images des petits
enfants palestiniens plein de boues et de sang accompagnaient nos repas, monopolisaient
les journaux télévisés, faisaient naitre en moi une haine insoupçonnable pour
une cause que je ne comprenais pas. Malgré tout, la violence m’indignait. La
vision de la mort ne se banalisait jamais, m’attristait et me faisait réfléchir
davantage. Dans mon pays, j’ai été élevée dans l’idée que les palestiniens sont
mes frères, dépouillés de leurs terres, assassinés, colonisés, détruits,
chassés par des sionistes calculateurs, aveugles, égoïstes, meurtriers,
assoiffés de pouvoir, satisfaits de causer la mort et survivant uniquement
grâce au sentiment de culpabilité du monde occidental post-seconde guerre
mondiale. Sans le comprendre réellement, le mot « sioniste » est progressivement
devenu une insulte et « juif » un gros mot.
Chez
moi, on ne parlait pas de la guerre, ni de la mort. On m’a appris l’acceptation
de l’autre, l’amour de son prochain. Mais en grandissant, le monde extérieur à
mon cocon familial s’est imposé à moi, avec toute son ignorance et son
intolérance.
Ces
mêmes juifs, qui sont devenus les ennemis publics numéro un du monde
arabo-musulman, vivaient autrefois dans mon pays, étaient protégés par le
grand-père de mon roi et côtoyaient des musulmans avec qui ils partageaient
même une culture. Comment ces familles avaient-elles pu quitter un pays qui les
a vues naitre, grandir, prospérer, qui les a protégées ? Comment ces
familles peuvent-elles accepter qu’un gouvernement cherche délibérément à tuer
des innocents, sous prétexte qu’ils ont la même religion que ceux qui étaient
autrefois leurs voisins ? Et surtout, comment en est-on arrivés à cette
fracture profonde et généralisée des mentalités dont l’épicentre se situe dans
le Proche Orient, au berceau des religions ? Pourquoi un tel
retentissement sur la planète ? Pourquoi dois-je haïr les juifs ?
Pourquoi est-ce mal que de chercher à les comprendre ?
J’ai
toujours eu une fascination pour les civilisations étrangères, tout en les
comparant à l’histoire de mon pays, aux cultures et aux valeurs qui y
cohabitent et qui me sont chères. L’histoire des juifs marocains conciliait les
deux. La communauté juive marocaine m’a toujours passionnée. Elle a laissé une
marque indélébile dans l’histoire de mon pays.
Je suis déterminée à tenter de comprendre.
- A