"Il n'était pas nécessaire que les prolétaires puissent avoir des sentiments politiques profonds. Tout ce qu'on leur demandait, c'était un patriotisme primitif auquel on pouvait faire appel chaque fois qu'il était nécessaire de leur faire accepter plus d'heures de travail ou des rations plus réduites. Ainsi, même quand ils se fâchaient, comme ils le faisaient parfois, leur mécontentement ne menait nulle part car il n'était pas soutenu par des idées générales. Ils ne pouvaient le concentrer que sur des griefs personnels
et sans importance. Les maux les plus grands échappaient invariablement à leur attention."
George Orwell
Je ne pensais pas réécrire mais peut-être est-ce la meilleure chose
à faire. Pour me reprendre, me redonner de la motivation. Deux mois
déjà depuis mon précédent écrit. Deux mois, c’est long, mais c’est si
court en même temps. Comme prévu, tout s’est bousculé très rapidement.
Après la fermeture des frontières, le confinement a été rapidement
instauré. Un confinement strict et sévère, parmi les plus serrés au
monde. Fermeture des villes, parfois même des quartiers. Du jour au
lendemain. Nous venions d’arriver à Tanger lorsque nous avons appris la
nouvelle. Nous n’avions même pas vus mon grand père que nous songions
déjà à repartir. Le retour à Rabat le jour de l’instauration du
confinement a été chaotique. Nous étions auto-confinés une semaine
auparavant. Nous avions déjà fait nos adieux au monde extérieur.
Toutefois, nous avons dû retrouver ce même monde extérieur plus tôt que
ce que nous avions prévu. Plus tôt et de manière brutale. Par la perte
de mon grand-père... pas celui que nous nous étions préparés à quitter
définitivement. Est-ce que cela rend pour autant les choses plus simples
? Je ne pense pas. 18 avril. Rupture de l’aorte à 4h30. Décès à 15h.
L’univers qui bascule littéralement en quelques heures. L’impossibilité
du deuil traditionnel, du partage de la peine, du réconfort mutuel. La
solitude malgré le fait d’être entourés. La perte de tout intérêt à
tout. Les difficultés à dormir et à respirer durant des semaines. Les
visites hebdomadaires au cimetière qui apaisent et détruisent malgré le
temps qui passe. Le temps efface, le temps apaise, toutes les douleurs,
tous les maux. Ne restent plus que les souvenirs et la solitude face à
la perte. Il est parti dignement, à l’image de sa vie. Il est parti
doucement, à l’image de l’amour sincère et singulier qu’il portait à
chaque personne constituant son cocon, de sang ou d’adoption. On dit
souvent que la perte d’un être cher est plus difficile pour les
personnes qui restent... et c’est vrai. La perte d’un être cher quand on
ne peut l’honorer est une douleur qu’il est difficile de transposer à
l’écrit. Impossible, même. C’est une période qui appelle à
l’introspection. Je ne souhaiterais pas que quelqu’un d’autre que toi
lise ces mots. Si tu m’entends, A, sache juste que je te remercie de
m’avoir acceptée et toujours considérée comme ta petite-fille, quand
j’avais parfois l’impression de n’être rien de plus qu’une pièce
rapportée. Je t’en suis et t’en serai toujours éternellement
reconnaissante, heureuse et reconnaissante d’avoir eu une figure à
laquelle m’identifier telle que toi. Merci de t’être sincèrement
intéressé à ce que j’étudiais, ce que j’apprenais, ce qui m’intéressait,
ce que je devenais. Merci pour toutes tes questions, tes inquiétudes,
ta sollicitude, ton approbation. J’espère que tu es fier. Autant que
nous sommes fiers de toi. Sache que si je réussis à nouveau à
travailler, ça sera uniquement pour et grâce à toi. Travailler
m’apparaît comme un obstacle insurmontable. Avec des journées mêlant
préoccupations autour des masques, du ramadan, de la désinfection à la
javel, des autorisations de sortie, de la crise économique ou encore du
nombre de cas qui ne cesse d’augmenter au Maroc... Je ne sais pas ce que
l’avenir nous réserve ou si nous serons effectivement déconfinés le 20
mai. Ce qui est sûr, c’est que la solitude est une chose pesante.
Réelle. Tangible, finalement. Et que l’introspection est difficile.
L’amour au temps du Corona est également une autre histoire. J’espère
que nous en sortirons grandis.
- A. 16/05/2020